Environnement et festival : point de vue du directeur
Anicée Willemin
Antonin Rousseau, directeur de Festi’neuch, s’est longuement entretenu avec nous pour évoquer en toute pudeur et avec une grande modestie les actions menées par le festival, et ce, depuis de longues années, pour être à la hauteur des exigences de la planète. Cela paraît grandiloquent, dit comme ça, mais en fait non. Nous sommes dans un moment presque historique où il y a, à nouveau, une réelle prise de conscience, avec la vague des partis verts qui ont remporté les élections européennes dans certains Etats, avec de très jeunes militants tels que Greta Thunberg qui sont parvenus à faire se déplacer des foules au niveau mondial avec ses actions des Green Fridays, et, à un niveau plus local, avec les actions de l’écolière de Malleray, Diane Lou Pellaud Eastes (lien sur article du *Temps*). La jeunesse, mais pas que, nous insuffle de l’espoir, et tout cela n’est pas pour déplaire à Antonin Rousseau, pour qui les actions écologiques font sens depuis un bon moment déjà, et quand bien même cela n’est pas -trop- su, et qu’il y avait là comme une pudeur à ne pas communiquer là-dessus. Retour sur les actions concrètes menées par Festi’neuch.
Cela fait depuis une bonne dizaine d’années au moins que le festival et son comité évoquent à l’interne les questions environnementales, et agissent en ce sens, pour réduire l’empreinte du festival sur l’environnement. Mais, et cela Antonin Rousseau le rappelle d’emblée, les mouvements verts, à l’interne, viennent tant d’ « en bas » que d’ « en haut », tous les secteurs du festival se sentent impliqués ; et cela est plutôt stimulant et rassurant. Les actions concrètes menées s’articulent selon plusieurs niveaux, plusieurs axes, plusieurs temporalités : la limitation conséquente des déchets, l’énergie, la mobilité douce, ainsi que la sensibilisation auprès du public/des divers publics.
Quelles sont justement et de manière pragmatique les actions menées par le festival dans ce but ?
Le tri des déchets et l’énergie
Depuis plus de 10 ans, le tri des déchets est opéré à la source, de façon à obtenir un taux de tri plus élevé, ainsi qu’un tri de meilleure qualité, et assurer la propreté du site. Depuis 2010, Festi’neuch a été l’un des premiers acteurs culturels du canton de Neuchâtel à mettre sur pied l’utilisation de gobelets réutilisables. Trois ans après, en 2013, un partenariat avec Viteos a débouché sur l’emploi d’une énergie locale et renouvelable, le courant « Areuse », avec un monitoring, des horloges, des minuteries Schneider Electric, des compteurs installés qui permettent une réduction de l’utilisation de l’énergie, voire même une coupure de l’électricité quelques heures durant, soit dans les moments particuliers tels que ceux où on ouvre sans cesse les frigos pour distribuer des boissons, soit dans des moments plus creux, par exemple les nuits. En outre, le matériel lumière du festival est presque passé dans son intégralité au LED. Depuis 2 ans, le plastique à usage unique a été fortement limité, les pailles en plastique abandonnées (en lien avec l’action Papaille, action dont il a été question dans un article de #Tellement de l’année passée), les lâchers et distributions de ballons interdits. Lors des phases de montage et de démontage du festival, 5’500 repas sont servis dans des assiettes en dur à l’équipe de l’infrastructure, l’ « infra ». Cette année, les touillettes en plastique sont remplacées par des touillettes en bois. Depuis quelques temps déjà, plusieurs milliers de cendriers de poche sont distribués chaque édition aux festivalier.ère.s, mais de « vrais » cendriers, plus volumineux et en caoutchouc, sont aussi présents sur le site du festival.
La mobilité douce
La mobilité douce est, elle aussi, valorisée, prônée et encouragée, avec l’incitation à se déplacer avec les transports publics et/ou le vélo, ainsi qu’à prendre des navettes gratuites pour ramener les festivalier.ère.s partout dans le canton de Neuchâtel. Cette édition, plusieurs navettes payantes sont aussi organisées pour « rapatrier » les oiseaux de nuit dans les grandes villes romandes et pour réduire l’utilisation de véhicules personnels. Festi’neuch est, de plus, un festival desservi par les transports en commun.
Des actions de sensibilisation
À toutes ces actions concrètes s’adjoignent, s’ajoutent, se greffent des actions de sensibilisation ou d’éveil des consciences, de promotion des bons réflexes, actions qui n’en sont pas moins concrètes, mais dont les résultats sont moins « quantifiables ». Il en va ainsi de jeux et d’animations mis en place et proposés au stand Développement Durable sur le site du festival : un quiz est fait (avec un écran et un « buzzer ») et qui pose des questions au sujet du développement durable à propos du festival, mais aussi des questions portant sur l’écologie de manière plus globale. Cette année, des questions seront posées en lien avec la permaculture, car l’association HUMUS va distribuer quelques graines dans des ecobox (avec l’aide de bénévoles de Festi’neuch). De plus, lors de la journée du dimanche consacrée aux familles, un atelier bricolage avec du matériel de récupération sera proposé (comme construire des animaux avec des bouchons de liège). Et l’équipe du stand, avec à sa tête Naomi Humbert, répond aux questions des gens curieux, désireux d’en savoir plus à propos des liens entre l’environnement et le festival, et son positionnement.
La grande battue
En outre, chaque année, le samedi d’après le festival, une grande battue, une grande opération de nettoyage est organisée à l’interne, et menée par tous les acteurs du festival : du directeur, en passant par le comité, à tous les bénévoles. Tout le monde est convié pour nettoyer le site des Jeunes-Rives dans ses moindres détails et le restituer propre, plus propre encore. Des équipes de plongeurs sont aussi mises à contribution pour bien vérifier les abords du lac et les fonds de ce dernier. Et qu’en est-il de la faune et de la flore ? Antonin Rousseau aimerait bien que des spécialistes, des professionnels de l’environnement se positionnent, et soient des forces vives pour mettre en place de nouvelles actions concrètes, sensées, basées sur l’avis de ces spécialistes justement, plus à même d’indiquer de vraies marches à suivre.
Festi’neuch, nous dit Antonin Rousseau, est une petite ville éphémère, l’espace de quatre jours, et contribue à une prise de conscience, ou à des prises de conscience. À changer les habitudes. Sans vouloir être un levier unilatéral – le festival a une claire conscience qu’il est un acteur culturel parmi d’autres, et que chacun agit à sa mesure, il prône toutefois le vivre ensemble, l’action communautaire, le changement de nos habitudes face à l’urgence climatique mondiale. C’est d’ailleurs dans le cadre de Festi’neuch que la première campagne de récolte de signatures contre les pesticides du canton de Neuchâtel a été lancée, il y a tout juste deux ans. Chaque année, des pas de plus sont faits dans ce sens. Quand bien même Antonin Rousseau aimerait au plus profond de lui que les choses soient réalisées de manière plus rapide et encore plus durable, presque plus radicale, glisse-t-il à demi-mots, il lui faut jongler avec toutes sortes d’impératifs. Festi’neuch est quelque peu tiraillé entre l’appel de l’urgence climatique, ses valeurs, être en cohérence avec ses dernières, et la réalité financière, les compromis qu’il se doit de trouver avec des partenaires, avec ses partenaires. Le festival vit avec 4% de subventions publiques, et surtout avec l’apport du prix des billets, mais il ne veut en aucun cas que le prix des billets d’entrée, ou l’augmentation potentielle de ce dernier, se répercute sur les festivalier.ère.s, c’est pourquoi Festi’neuch s’efforce de maintenir ses prix de billets.
« Réapprendre le vivre ensemble, créer du lien social, évoquer l’agora, une certaine vision de la société, pendant quatre jours intenses et intensifs et à l’année, insuffler modestement des énergies nouvelles, aider à la conscientisation, faire en sorte que chacun et chacune puisse continuer à être un levier pour faire passer des messages, qui plus est concernant les questions environnementales qui supplantent toutes les autres ou presque, et qui donnent le vertige, puisqu’il est tout simplement question de notre avenir, et de celui des générations futures, voici des valeurs auxquelles Festi’neuch tient fortement et qu’il a envie de passer à son prochain. »
Le festival a, de plus, conscience des changements que demande une vie plus verte, il en conscientise l’urgence, le côté inéluctable, inévitable, mais doit conjuguer avec divers facteurs, tant économiques que financiers ; ainsi, il propose des changements par étapes. Par exemple, le plastique à usage unique n’a pas encore été complètement banni, mais le plus possible est fait pour que, dans un moyen terme, il n’y en ait plus sur le site, et ce y compris sur les stands. En outre, nouveauté cette année, un tiers des véhicules utilisés par l’infra sont des véhicules électriques. Pour continuer à vivre tant cette réflexion que cette action, et mener cette dernière plus loin, Festi’neuch peut compter sur la présence d’un responsable en Développement Durable en la personne de Joël Caillet, qui aide le festival dans ses défis de chaque jour, même si tous les départements du festival se sentent impliqués. Le festival s’est aussi inscrit au réseau vert des festivals suisses, et plus particulièrement romands: il s’est ainsi affilié au réseau informel qui regroupe d’autres festivals comme Paléo, Cully Jazz, Hors Tribu, Caribana, ainsi que Balélec. Il s’est, de plus, affilié à une association européenne des festivals, Yourope, qui a développé un groupe de travail oeuvrant dans cette mouvance. Quand bien même le festival ne souhaite pas être labellisé (cf. norme ISO 20121 – L’événementiel pour un développement durable), ce n’est pas à l’ordre du jour, il lui importe de continuer à être cohérent par rapport à ses valeurs pour réduire son empreinte environnementale, et Festi’neuch va continuer à faire un maximum d’efforts en ce sens, sur les voies qu’il emprunte déjà. Le festival préfère œuvrer à sa mesure, plutôt qu’être affilié à d’autres types d’événements qui pourraient, quant à eux, être taxés de greenwashing. Il y a une prudence qui est adoptée par Festi’neuch quant à ces questions de développement durable, car ce dernier ne nie pas son propre impact. Réapprendre le vivre ensemble, créer du lien social, évoquer l’agora, une certaine vision de la société, pendant quatre jours intenses et intensifs et à l’année, insuffler modestement des énergies nouvelles, aider à la conscientisation, faire en sorte que chacun et chacune puisse continuer à être un levier pour faire passer des messages, qui plus est concernant les questions environnementales qui supplantent toutes les autres ou presque, et qui donnent le vertige, puisqu’il est tout simplement question de notre avenir, et de celui des générations futures, voici des valeurs auxquelles Festi’neuch tient fortement et qu’il a envie de passer à son prochain.
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Concept : Dorian
Photo : Lucas Vuitel (ArcInfo)
Anicée Willemin